La DEPORTATION et l'INTERNAT des BASQUES à CAPBRUTUS, (ci-devant CAPBRETON )
L'histoire ne peut se conter sans tourner une page peu glorieuse et peu connue : celle où certaines églises des Landes et d'Aquitaine servirent de prison et de mouroir à des "Basques reclus".
Comment en est-on venu là ?
Nous sommes en 1793, (an II), en une époque où les théoriciens fanatiques de la Nouvelle Patrie, de la République, aspirent à de grands changements.
D'abord, s'instaure le surprenant calendrier révolutionnaire auquel la majorité de nos ancêtres ne s'habituera jamais. Par exemple, à Capbreton, on a inversé sur le cahier de délibération pendant tout un mois les dates du calendrier sans même s'en apercevoir.!
Les communes sont affublées de qualificatifs "montagnards" qui, eux non plus, ne rentreront jamais dans les moeurs. Capbrutus pour Capbreton, Thermapyles pour Baïgorry, Marat dur Nive pour Ustaritz ou Chauvin-Dragon pour St Jean de Luz !
De plus il a été décidé l'uniformisation de tous les Français. Pour cela il faut s'attacher à faire disparaître toutes les particularités régionales, au grand dam de nos campagnards français attachés à leurs caractéristiques.
La grande idée sera la suppression des langages obscurs, des idiomes barbares, incapables par définition de diffuser les idées de progrès et de lumière.
Les difficultés seront énormes, face à l'incompréhension de la grande masse de nos concitoyens des campagnes qui opposeront à tous ces bouleversements un manque d'intérêt certain. Et c'est à grand renfort de procès verbaux, de rapports, de menaces envers "tous ceux qui aiment peu la République", que les fondateurs des "Comités de surveillance" essayent d'animer le zèle révolutionnaire, se heurtant souvent à la force d'inertie d'un civisme obligé.
Très près de nous, et plus encore que pour les Gascons, c'est pour le peuple basque que les difficultés seront les plus grandes car celui-ci va se trouver particulièrement en porte à faux.
Que demande-t'on, en effet au "bon citoyen basque ?" ...Rappelons quelques nécessités de base:
Sous l'impulsion de l'abbé Grégoire, l'Assemblée Constituante ordonnera le 14 janvier 1790 l'abandon de la langue, "l'euskera", véhicule de la superstition. Alors que, en 1789, les cahiers de doléances ont revendiqué haut et fort ce privilège, demandant que l'enseignement des instituteurs ou prêtres ne soient effectués que dans leur langue, spécifiant qu'ils ne pouvaient être que des naturels du pays.
Comme il faut aussi obéir à la Constitution Civique du clergé, les ci-devant catholiques ne doivent plus suivre les "curés réfractaires" cequi est très mal vécu par la population. Circonstance aggravante au Pays Basque, ces curés réfeactaires s'y intitulent les "Contrebandiers de la Foi" et s'obstinent à passer clandestinement d'un versant à l'autre de la montagne pour servir leurs ouailles desdeux cp*ôtés du versant des Pyrénées. Pourtant la guerre franco-espagnole exige la fermeture de ces frontières où l'on se bat. Les relations permanentes des Basques, qu'ils soient Français ou Espagnols, ne doivent, plus être pyrénéennes.
On annonce aussi que les lois locales et les particularismes des successions sont balayés, qu'ils doivent sacrifier la sacro-sainte Maison Basque, préservée depuis des siècles, qui sera désormais répartie en parts égales entre tous les enfants, comme il convient de faire dans un esprit de liberté, d'égalité et de fraternité. Bref, les Basques, viscéralement attachés à leur patrimoine et leurs particularismes, à la Royauté, (aucun des députés des Basses Pyrénées ne votera la mort de Louis XVI), au Catholicisme aussi, sont, de prime abord, considérés avec méfiance comme pouvant constituer une opposition aux lois de la République.
De fait, dès l'annonce de l'abolition des privilèges de la nuit du 4 août 1789, les Labourdins protestent et rédigent un mémoire à l'adresse de l'Assemblée. Ils tiennent trop à leurs propres privilèges !
Un coup de grâce sera l'organisation des départements, le 22 décembre 1789, créant un seul département des Basses Pyrénées, réunissant le Béarn, la Soule, la Basse-Navarre, le Labourd et Bayonne, contre l'avis des habitants, qui craignent l'obstacle des langues.
Les libertés réelles des Basques, leur originalité, leurs aspirations se trouvent donc bafouées. De nouvelles protestations n'auront pour effet que de les déconsidérer aux yeux des Parisiens qui entament une campagne de presse, accusant les Basques français d'être "d'une stupide ignorance et de manquer d'honneur patriotique."
Et à Saint-Jean de Luz, maintenant appelé Chauvin-Dragon, la minorité des nouveaux notables fait chorus et se distingue par sa virulence.
Comme dans le reste de la France le peuple n'accepte pas de remplacer le dimanche par le decadi, et de travailler 9 jours d'affilée au lieu de 6.
Pourtant remarquons que les jeunes basques forment une armée qui s'est sinalée par sa bravoure dans la région frontalière, théâtre d'opérations militaires d'envergure. Les Chasseurs Basques, organisés par les représentants de la Convention, Pinet et Cavaignac et qui sont la base de cette armée des Pyrénées Occidentales, se battent avec héroïsme. Leurs succès, sont dus au fait qu'ils ont conscience de se battre contre les Espagnols pour défendre la patrie basque. Et c'est la cohésion des Basques par delà les montagnes qui est une explication à cette première ardeur. Le Basque est sur son terrain, obéit à ses chefs, eux-même basques, (le général Harispe est très populaire).
Mais assez vite, voyant la guerre s'éterniser, les cultures dépérir, l'héritage se ruiner, ils perdent de leur ardeur.
C'est ainsi qu'on peut lire dans le registre des délibérations de Chauvin-Dragon, (Saint-Jean de Luz) à la date du 25.11.1793, (5 frimaire an II), une dénonciation accusant la ville de Sare.
Cette accusation constate le fait que beaucoup d'émigrés voulant passer en Espagne, font halte à Sare où ils trouvent par tradition un très bon accueil.
"L'Assemblée, considérant que la commune de Sare a constamment manifesté la haine la plus marquée contre la Révolution, que cette commune n'est habitée que par des aristocrates, qu'étant ouverte de tous les côtés, ses habitants et tous les traîtres qui s'y réfugient communiquent et avec la République et avec ses ennemis. Qu'il est certain par tous les rapports des déserteurs que tous les espions du satellite du despote espagnol passent presque tous par Sare et que c'est de là qu'ils reçoivent tous les avis,. Que l'incivisme des habitants de cette commune doit lui attirer l'animadversion de tous les patriotes et la vengeance républicaine. Qu'il est dangereux de laisser dans ses environs des individus si corrompus et qui, par la connaissance des localités, pourraient encore entretenir leur criminelle liaison avec l'Espagne.
"Arrête que les représentants du peuple, puis l'armée des Pyrénées Occidentales, seront invités à faire effectuer, dans le plus court délai possible, l'évacuation totale de la commune de Sare en envoyant les laboureurs dans les départements du Lot et du Lot et Garonne, les marins et les charpentiers sur les vaisseaux et dans les chantiers de la République; les artisans dans les communes d'Auch et Condom; à déposer les vieillards et les infirmes des deux sexes, ainsi que les enfants hors d'état de travailler, dans les maisons nationales, dans quelque département éloigné. Faire vendre le grain de la commune de Sare à celle de Chauvin-Dragon; les foins et pailles aux fonctionnaires des armées de la République, les bestiaux dans les foires et marchés voisins.
Tout le produit en être déposé entre les mains du District ou du Receveur des droits d'enregistrement de Chauvin-Dragon, à prendre sur ce produit les frais de voyage de tous ceux qui seront envoyés à raison de 6 sous par lieue et pour chacun, et les frais d'entretien des vieillards, infirmes et enfants qui seront déposés dans les maisons nationales; de faire séquestrer dans les églises des communes environnantes les meubles et outils aratoires qui ne peuvent pas être emportés. Distraction préalablement faite des meubles qui pourraient servir à loger dans cette commune les défenseurs de la patrie qui y seront envoyés.
Enfin à faire tracer et former par les généraux, un cordon de troupe depuis Louhossoa et Itxassou, par Espelette, Ainhoa, St Pee, Sare, Ascain et Urrugne, jusqu'au Camp des Sans-Culottes à Hendaye, au delà duquel il ne serait permis à personne de venir ni dépasser sous peine d'être fusillés."
Le Cordon de troupes serait formé, a t'on dit par l'armée des Pyrénées Occidentales, où sont nos chasseurs basques ! Or, déjà des bruits ont couru que les prochaines incorporations pourraient se faire dans des bataillons non Basques. Nombreux sont ceux qui, alors, ne reviendront pas de leurs congés.
C'est en apprenant l'opération d'épuration qui se prépare, que quarante sept conscrits d'Itsassou réquisitionnés ou volontaires dans les chasseurs basques, décident de passer la frontière, dans la nuit du I° au 2 Ventôse An II, (19-20 février 1794).
On peut donc maintenant lesaccuser de trahison, de collusion et d'intelligence avec l'ennemi. La répression sera exemplaire et les projets initiaux sont changés :
Il ne s'agit plus de vider le seul village de Sare mais aussi ceux des communes d'Ainhoia, Ascain, Bridous, Cambo, Espelette, Itxassou, Larressore, Louhossoa, Macaye, Mendionde, Sare, Souraïde ...
Obéissant aux ordres de Monestier, Pinet et Cavaignac, et en exécution de l'arrêté du 13 ventôse en II (03.03.1794) déclarant "infâmes" les habitants des communes suscitées, une rafle en règle sera organisée : Dans la même journée du 17 mars 1794, (27 ventose an II) et, comme toujours dans pareil cas, par les plus dévoués au Régime en place. Ils livrent les leurs et on voit l'équivalent des miliciens de nos dernières guerres trahir leurs frères.
Il faut expliquer que leur zèle patriotique leur donnait, par la même occasion, la possibilité d'acquérir à bon prix le grain qui se faisait rare et que l'on trouverait chez les déportés. Les biens des prisonniers devaient, théoriquement, être séquestrés, mais on a constaté qu'en pratique le pillage fut de règle.
Ce que beaucoup n'avaient pas prévu c'est que la guillotine va entrer en action et, bouleversés, ils virent tomber des têtes.
C'est dans un second temps que les habitants prisonniers, parqués dans leurs églises respectives, seront rapidement déportés vers d'autres églises des Landes. Comme il avait été prévu précédemment, les hommes, femmes, enfants sont séparés.
A Capbreton, maintenant rebaptisé "Capbrutus", on a d'autres chats à fouetter et non des moindres. La tour de l'église, dont on a enlevé la cloche pour être fondue "au service de la Patrie", a été aménagée en poste de guet permanent et on sera sur le qui-vive " jusqu'à ce que les côtes se fussent totalement dégarnies de toutes sortes de bâtiments qui donneraient ombrage à tous les vrais Républicains ".(R.D.) On craint, en effet, une invasion étrangère, on s'alarme à chaque convoi de bateaux signalé.
Comme les prisonniers sont reclus dans l'église , on confie un mot de passe à la vigie pour pouvoir accèder au clocher.
Une compagnie de 40 canonniers doit protéger la côte pour parer aux attaques des coalisés. Mais le port, qui doit rester opérationnel, s'est de nouveau ensablé. Aussi procède-t'on à la réquisition de la population des deux sexes, enfants compris, pour réouvrir le havre.
Le prix des denrées ,qui se font de plus en plus rares, est publié régulièrement, de plus en plus cher.
Et voici que le représentant du peuple près l'armée des Pyrénées Occidentales, considérant "qu'il faut éloigner les hommes faibles qui ne seront jamais à la hauteur de la République," vient de révoquer le citoyen Lannes, maire de Capbrutus comme n'ayant pas su maintenir "la discipline et la fraternité républicaine".
C'est alors Mathieu Lapouble, charpentier au village, qui est mis à la place de maire dans ce fatras d'événements qui le submerge. Rapidement il pourra se demande s'il est vraiment le premier de la commune
Il se méfie de la Société Populaire qui semble avoir pris les pleins pouvoirs. A sa tête de cette Société se trouve Bertrand Lafon, ancien maire, maintenant sous lieutenant de la Compagnie des canonniers.
Il faut aussi être prudent, face au Comité Révolutionnaire de surveillance Jean-Jacques Rousseau (ci-devant Saint-Esprit) dont dépend Capbrutus.
Le représentant du peuple près de l'armée des Pyrénées, Desaa, inspecteur particulier des garde-côtes maritimes et de la Compagnie des 40 canonniers en garnison à Capbrutus, a averti, avec un langage assez cru, qu'il entend bien assurer la police sur le territoire de la commune.
Et voici que, de but en blanc, on lui annonce qu'il doit se tenir prêt à parquer des centaines de prisonniers basques, jugés traîtres à la Nation, qu'il devra "reclure sous huit jours dans la ci-devant église", fermée au culte et transformée en prison.
Le 21 mars 1794, (1° Germinal an II), le comité de surveillance Jean-Jacques Rousseau écrit ainsi :
" Le Général Larroche me charge de vous mander que les reclus ne pouvant se rendre ce soir à votre commune, ils se rendront demain au nombre de 250. En conséquence prenez, citoyens, les dispositions nécessaires."
Le registre de délibérations de la Commune fait effectivement état des mesures qui avaient été prises le 15 mars , (25 Ventose) : "L'église doit être déposée sous huitaine pour recevoir 1es habitants de Sare, Itxassou Et Ascain mis en état d'arrestation. Les effets et mobiliers sont retirés et portés en Iieu sur, dans 1a Maison Cazaubon, et sous c1é pour disposer de ladite église pour renfermer dans un Iieu de sûreté ces infâmes Basques qui ont voulu tromper la République".
On avait bien besoin de cela! Comment l'intendance va-t-elle "suivre ?"
L'église n'avait pas la superficie de notre église actuelle elle était beaucoup plus restreinte. l va fallor entasser ces 250 hommes sanavoir prévu aucun équipement pourles recevoir.
Capbreton réquisitionne 20 ou 25 charrettes pour les 250 détenus annoncés.
Puis le (2 germinal) 22 mars on accuse réception au général Laroche de l'arrivée de 229 "reclus" de 11 à 84 ans. (Il y a eu un changement d'orientation pour 21 des déportés).
Le désarroi de Mathieu Lapouble est certain car les habitants de Caprutus sont eux aussi soumis au régime de la Terreur .ls craignent les arrestations et les exécutions, ils manquent de nourriture. Tout devient rare et cher.
Il établit un questionnaire destiné au général Larroche sur la façon dont les détenus "renfermés dans la ci-devant église", doivent être traités, nourris, et il établit un questionnaire précis, afin de ne pas commettre d'impair. Ce questionnaire est retranscrit dans le registre de délibérations de Capbrutus, du 2 Germinal An II, jour de l'arrivée des prisonniers :
1 - Combien de pain à donner à chaque homme? Nous n'avons pas ici de pain, ce n'est que de 1a méture.
2 - Pouvons nous consentir à ce qu'i1s s'achètent du vin et autres provisions?
3 - Devons nous leur donner autre chose que de la méture? Nous t'observons que nous n'avons pas de viande.
4 - Pouvons nous leur permettre d'avoir de la lumière la nuit , dans un fanal?
5 - Pouvons nous permettre qu'i1s aient leur matelas ou paillasse? Nous leur avons fait porter de la paille pour se coucher.
6 - Pouvons nous permettre qu'ils sortent deux par deux pour laver leur linge,
7 - S'i1 y a des malades, sommes-nous autorisés à les faire sortir de la Maison de réclusion pour les traduire dans d'autres, pour les faire traiter?
"La Municipalité a arrêté que les ustensiles qui doivent leur servir de latrines seraient vidées par 1es reclus qui ne pourraient sortir que deux à 1a fois, qui seraient accompagnés de trois fusillés."(sic).
Nous te prévenons que nous avons, de concert avec l'inspecteur particulier des vigies, fait la consigne au corps de garde que nous te ferons passer.
Salut et fraternité. Signe Lapouble maire, Lannelucq officier municipal, Béhoteguy, secrétaire greffier (qui est Basque!)...
Dès le 27 mars (7 Germinal), c'est à dire cinq jours après l'arrivée des prisonniers, le citoyen Bertrand Lafon, officier de santé, ancien maire, président de la Société populaire, est requis pour aller "traiter et médicamenter différents Basques reclus", cloîtrés dans l' église. Celle ci est beaucoup plus petite que celle de Capbreton actuelle, un peu moins de la moitié. Il y a là, des jeunes garçons de 11 ans et aussi des infirmes et des vieillards.
Au bout de neuf jours, c'est le 1°décès. Le 31 mars 1794 (11 Germinal), le Registre des délibérations annonce le début d'une liste sinistre : mort à 2 heures du matin du dénommé Pierre Apesteguy, époux de feue Marie Larriga, d'Itsassou, 84 ans. Les témoins, " deux individus reclus, ont dit s'appeler" Michel Gorostarsou, 38 ans, apothicaire à Espelette et Jean Gorrity, chirurgien de 76 ans, lui aussi d'Espelette. On remarque que les témoins sont des " hommes de santé". Les soins qu'ils ont pu prodiguer ont été vains devant la souffrance et l'humiliation du vieillard couché sur la paille, dans des conditions d'hygiène déplorables, qui meurt sans le secours officiel de la religion.
Huit hommes, de 50 à 84 ans, vont ainsi mourir dans l'église.
Les prisonniers ne sont là que depuis 20 jours et déjà, le 15 avril, (26 Germinal), la municipalité a des difficultés à nourrir les "reclus". Des mesures nombreuses sont prises contre l'agiotage qui s'effectue au mépris des arrêtés précédents sur la taxe du prix de lait et des victuailles, l'une d'elle est ainsi libellée :
" Plusieurs particuliers de cette commune commettaient chaque jour des abus sur la vente de 1a volaille et du poisson, qu'ils se permettaient de vendre aux Basques reclus qui sont enfermés dans cette commune, à ces hommes qui n'ont d'autre loi à observer que de rester tranquilles où i1s sont détenus, sans connaître 1e prix d'aucun objet de première nécessité et pour lors forcés à payer le prix de ce qu'i1s achètent tout ce qu'on leur demande. De plus ayant appris avec mal au coeur que quelque malveillant avait escaladé un mur chez un particulier de cette commune pour voler des poules,... à son voisin, à son ami ou à son frère... sans doute dans l'intention de les vendre à un prix extraordinaire à ces hommes qui se sont rendus coupables envers 1es intérêts de 1a République. L'Agent Général requiers 1a Municipalité de faire cesser les abus."
"I1 est pareillement défendu à tous 1es citoyens et citoyennes de ne plus porter dès ce moment aux Basques rclus ni du lait ni du caphé...(rature et rectification :)...du caffé, à moins qu'il ne le soit jugé nécessaire pour cause de maladie."
Ce même jour le Maire écrit à l'agent national du district de Dax :
"Je vous rappelle que nous avons 230 basques reclus qui ne sont pas portés dans notre population...nous sommes bientôt à bout de la première réquisition...nous avons besoin d'une nouvelle réquisition pour nous fournir à leur subsistance" (Signé Pierre Fossecave, agent national R.D.Capbreton)
Le (27 Germinal) 16 avril 1794, Capbrutus se décharge sur Benesse-Maremne de quelques Basques originaires de Cambo et faisant partie des familles Hardoy, Dublanc et Celnay (Bull.Borda "Benesse sous la Révol.Frse." F..)
Le 5 mai 1794, (16 Floréal an II), le commissaire Fossecave certifie un tableau de 227 individus reclus.
Puis, le 24 mai, (5 Prairial), Capbrutus fait toujours état de difficultés de ravitaillement:
" Les subsistances destinées pour les Basques reclus dans cette commune qui avaient été accordées par 1'Administration du district sur arrêté du représentant du peuple PINET aîné étant finies, il faut nécessairement prendre les mesures 1es plus promptes pour se procurer du grain pour 1a nourriture desdits Basques ; II est décidé que 1a demande des subsistances sera faite immédiatement par 1'agent national."
Ce même 5 Prairial un nouvel arrêté adoucit la situation et prévoit que les familles des détenus devront être regroupées "autant que possible", que les déportés seront utilisés à des travaux publics ou particuliers et "ne pourront quitter la commune où ils sont assignés, à peine de 6 ans de fer pour les hommes, 6 ans de prison pour les femmes, avec au préalable une exposition d'une heure pendant trois jours sur l'échafaud, au regard du peuple".
Appliquant à la lettre le désir de regrouper les familles, les autorités Capbretonnaises ouvrent les portes.
Le 26 mai, (7 Prairial), le Comité de Surveillance Jean-Jacques Rousseau,(ci-devant Saint-ESPRIT) s'étonne de ce que Capbrutus ait permis à plusieurs reclus Basques de venir voir d'autres reclus à LA GRANDE REDOUTE à Bayonne (il s'agissait de leurs femmes et de leurs enfants). "Veuillez, écrit-i1 nous faire parvenir un extrait d'un arrêté du représentant du peuple afin que nous nous y conformions sans crainte de commettre une infraction à 1'arrêté du représentant du peuple MONESTIER qui veut que personne ne communique avec les reclus."
I1 n'y a aucune allusion à ces voyages dans les registres de délibérations de Capbrutus. Tout ceci devait se trouver dans archives de la "Société Régénérée et Montagnarde" de la commune. I1 aurait été passionnant d'y accéder. Mais comme celles-ci ont sagement disparu en même temps que les événements révolutionnaires prenaient fin, on ne peut reconstituer les faits que par bribes.
Le même jour, Capbrutus reçoit un ordre de liberté pour Jean Diharse. Sa femme et son enfant internés à La Grande Redoute, seront aussi élargis.
Puis le 1 juin 1794 (13 Prairial) le comité de surveillance fait une communication de la plus haute importance :
" ...Enfin le jour va venir, et ce jour est fixé au 20 ( 8 juin ) de ce mois ( 8 juin ), où nous adressons à l'Etre Suprême, d'une manière digne de lui, nos voeux et nos remerciements de la Protection qu'il accorde à nos armes et de la Destinée qui veille sur notre liberté. Vous trouverez ci-joint à cet effet plusieurs exemplaires d'une prière que vous voudrez répandre à profusion dans les campagnes et les écoles et substituée là à ces anciens bréviaires qui gâtent et corrompent l'esprit des enfants" : " Prière de homme libre " (sic) ":Etre suprême! que la raison annonce, que la vertu célèbre, que l'infortune implore ; ordonnateur de tous les mondes. Père conservateur de tous les hommes ! Ô toi qui déposes les preuves de ton existence et le sceau de ta grandeur dans les organes d'un insecte comme sur le disque du soleil ! Être des êtres ! S'il est dans la nature un spectacle digne de ton regard c'est celui d'une assemblée d'hommes qui t'invoquent sans qu'aucun sentiment servile et bas se mêle à leurs hommages. Eh bien ! Tu vois réunis dans cette enceinte tes adorateurs paisibles qui, naguère sectaires enthousiastes, se haïssaient ; qui, jadis fanatiques cruels, se persécutaient et s'égorgeaient en ton nom "... " Sans autels, sans prêtres et sans rois... des hommes libres qui ne veulent d'autre temple que la voûte du ciel, d'autre autel que les vertus sociales, d'autre sacerdoce que la raison, d'autre maître que la loi, d'autre Dieu que toi, grand Etre, d'autres idoles que la Patrie... " (Bibl.Nle B41.3858 Relevé par Victor Montiton).
" Un membre du Conseil général de la Commune du Capbrutus a dit que l'arrété du représentant du peuple Monestier (de la Lozère) du 13 Prairial, dont il a fait lecture ce matin au pied de l'arbre de la liberté porte, article 4 : Dans toutes les communes il y aura un temple dédié à l'être suprême et, si dans quelques-uns unes il n'existe pas encore, les municipalités seront tenues de l'ouvrir et l'indiquer de suite à cette fin, dans les ci-devant églises. "
C'est ce même jour que l'on enregistre le 7°décès : C'est la première fois que le M. le Maire ne va pas se déplacer pour constater le décès et au contraire, les témoins vont comparaître dans la Maison Commune. Ils doivent avoir été assignés à résidence chez des particuliers pour dégager la ci-devant église.
Le Conseil de la Commune note le même jour que "la ci-devant église servait de Maison de détention pour les Basques reclus et que depuis 1e jour d'hier , 1es dits basques ayant été transportés dans différentes communes,( ils ne sont pas tous partis!), elle fût destinée pour 1e Temple dédié à 1'Etre Suprême, il propose qu'il soit fait les réparations nécessaires afin de 1e mettre dans un état de décence proportionné à l'usage qu'on doit en faire. "
La ci-devant église, ci-devant temple de la Raison, ci devant maison de réclusion devient donc un Temple de l'Etre Suprême
Encore un 8°décès, le 4 juin 1794: "Le 16 prairial An II, à une heure de relevée, décède Jean Destail, de 1a Commune de Sare, laboureur de 50 ans", dans une maison de Capbreton non dénommée et c'est la dernière victime de l'exode à Capbreton.
Comme pour le précédent, les témoins se déplacent jusqu'à la Maison commune.
Les Basques seront donc restés prisonniers dans l'église du 03.03.1794 au 01.06.1794, soit 3 mois. On verra plus tard qu'il leur faudra encore attendre près de trois mois de plus, pour que, le 28.09.1794, il leur soit permis de rentrer chez eux.
On pourra se poser des questions sur le nombre exact des détenus à Capbreton. Nous n'aurons pas de chiffre à proposer, il est proche de 230.
Pourtant la Commune d'Ustaritz a demandé au comité J.J.Rousseau la liste des détenus au Capbrutus et la réponse du 16 Prairial, (4 juin 1794),que fait ce comité n'est guère éclairante. La voici :
"Nous vous aurions remis le tableau que vous nous avez demandé par votre lettre du 14 courant des détenus au Capbrutus, si un arretté des représentants du 12 Floréal, n'enjoignait au district de Dax de disséminer 1es reclus qui étaient dans cette commune dans toutes celles de son arrondissement. Cet arretté étant exécuté vous dispanse du méme travail que vous deviez faire s'i1 ne 1'eut pas été".(sic)
Vient le 20 prairial an II, 8 juin 1794, fête de l'Etre Suprême, décidée par le décret du 18 floréal. Le ciel n'est pas de la partie car l'emploi du temps des festivités sera perturbé à cause du mauvais temps et la fête sera renvoyée à l'après-midi.
"L'article 20 de l'arrêté des représentants du peuple porte que tous les bons citoyens seront non seulement tenus d'y assister mais de lui donner toute la solennité due à son objet, aisi que l'espectacle (sic) le plus touchant des vertus républicaines."
La municipalité est en écharpe, suivie des membres de la Société populaire. Tous se sont rendus à la place de la Corderie, précédés des tambours, où ils ont trouvés tous les citoyens et citoyennes assemblés.
On va y lire la prière républicaine que la Société Populaire a reçue de ses frères de J.J.Rousseau.(déjà lue ci-dessus), "Puis tous 1es citoyens des deux sexes se confondent et se Iivrent aux danses et aux amusements républicains."
Après la pluie vient toujours le beau temps, et une embellie arrive le 8 Thermidor an II (27 juillet 1794), veille du renversement de Robespierre. On se rappelle que ce coup d'état est dû à l'énergie de Tallien qui le provoque pour l'amour de la belle Thérésia Cabarrus, condamnée à mort. Laquelle Thérésia, surnommée Notre-Dame de Thermidor est la descendante d'une famille de marins, commerçants et armateurs Capbretonnais.
Ce 8 thermidor verra ici à Capbreton, la naissance d'un enfant basque dans nos murs. Au moment même de la chute de ROBESPIERRE, Michel BEÇONARD, d'ITSASSOU, ex reclus dans le temple de l'être suprême, vient jusqu'à la Maison commune déclarer la naissance de sa fille Gracianne, née de lui et de son épouse Marie JAURETCHE. La naissance s'est déroulée dans la Maison de Guillaume POUCHUCQ, ( marié à une basquaise Marie Diratchete), cadet de la maison "Janicouton" au Bournès.
"Le 8 Vendémiaire An III, (28 Sept 1794), les représentants BAUDOT et GARRAUT mettent fin à l'internement , autorisant les Basques à rentrer chez eux, puis le 10 Vendémiaire ils les réintègrent dans leurs biens "
On l'a vu, les exilés ne trouveront plus grand chose en rentrant chez eux. C'est une nouvelle détresse, une grande colère, de la rancoeur qui éclatèrent en une vive réaction.
On peut lire à nouveau dans les registres de délibération de Saint Jean de Luz, le 15 prairial an III:
"Considérant que dans cette mesure illégale et monstrueuse, les délibérants ont pris un considérant calomnieux,... les vexations et pillages ont consommé la ruine de 3000 habitants de Sare, Itsassou, Ascain, Espelette, Ainhoa et Souraïde.
Les dilapideurs doivent être dénoncés, mis en état d'arrestation, les scellés seront apposés en leur présence sur leurs papiers et ils seront ensuite conduits à la Citadelle de Bayonne,... et traduits devant les tribunaux."
Utilisant une méthode plus expéditive, les parents de victimes du terrorisme, victimes elles-même, hommes ou femmes, paysans réduits à la misère" se regroupent en bandes plus ou moins organisées. C'est ce que l'on a appelé "le Bataillon du Carosse" . Ils "fusillent" des maisons, chauffent des pieds des acquéreurs des biens nationaux ou de ceux qui doivent restituer les produits de leur pillage, brûlent les meubles du prêtre jureur, etc...
Des indemnités seront demandées pour eux en 1795, justes et équitables, par Pierre-Etienne Cabarrus, armateur de Bayonne et propriétaire à Capbreton, délégué à Paris par la municipalité de Bayonne. Le 18 avril 1795, (29 germinal An III), présenté et soutenu par son cousin par alliance Tallien, il lira à la Convention un long rapport "sur les exactions et la déportation de 3000 Basques". Ce qui sera accordé plus tard en indemnisation est insignifiant.
Le 30 prairial de l'an III,(18 juin 1794), Capbrutus est redevenu Capbreton. On conservera de cette méchante aventure quelques liens d'amitié qui ont pu se créer et on essaya d'oublier la"bavure" de MONESTIER, PINET et CAVAIGNAC.
En Pays Basque aussi, on réapprit à vivre ensemble.
Anne-Marie BELLENGUEZ-DARNET
03.07.2000
1°décès : Le 31 mars 1794 (11 Germinal), le Registre des délibérations annonce le début d'une liste sinistre: mort à 2 heures du matin du dénommé Pierre Apesteguy, époux de feue Marie Larriga, d'Itsassou, 84 ans. Les témoins, " deux individus reclus, ont dit s'appeler" Michel Gorostarsou, 38 ans, apothicaire à Espelette et Jean Gorrity, chirurgien de 76 ans, lui aussi d'Espelette.
2°décès : Le 19 Germinal, Bernard Lafon déclare que "ce jour à 8 heures est mort Salvat Diharse, de Cambo, rentier, 71 ans". C'est l'époux de la citoyenne HAITZE. Ses deux frères Jean-Baptiste, 57 ans et Jean 62 ans, respectivement de Cambo et d'Espelette, signent "Diharce" sur le registre que le maire Mathieu LAPOUBLE apporte à la Maison de réclusion.
3°décès : "Le 23 Germinal An II, à 8 heures du soir, décès de Jean PINONDE, duranguier, 77 ans, de 1a commune de Sare". Le registre porte la signature de deux témoins laboureurs à Sare, Augustin ETCHEVERRY, 67 ans et Jean LARREA (porté LARRIA sur l'acte), 40 ans, laboureur.
4°décès : Deux heures plus tard, ce même soir vers 11 heures, meurt Pierre LAPITS, 66 ans, laboureur de la "commune DAINHOUA", (= AÏNHOA), entouré de son fils Mathieu, 30 ans, laboureur, (qui ne signe pas) et de son gendre Martin OSTHA, duranguier, 60 ans, (qui signe OSTA), "tous deux de 1a commune DAINHOUA".
5°décès : Toujours ce même 26 Germinal, "meurt à 11 heures du soir dans la Maison de réclusion Pierre BERROUET, 65 ans, laboureur". Comme lui, les témoins Jean BERROUET, 60 ans et Pierre ILHURHIDE, 40 ans, sont laboureurs "DISATSOU".
Le 16 floréal an 2, le même Fossecave fait le recensement de 227 basques.
6°décès : Le 3 Floréal an II, mort de Salvat MONDUTEGUY, 55 ans, tailleur d'habits de la Cne DAINHOA, à 9 heures du soir. Témoins Martin ELHORGA, 60 ans, cousin du décédé et BETRYDOY HARSABAT (?), 32 ans, laboureur de DAINHOA, (qui ne signent pas).
Le 8 Prairial, le comité J.J.Rousseau, en vertu d'une lettre du district d'USTARITZ, arrête que SIMONET, l'un de ses membres, se rendra à Capbrutus pour y interroger le citoyen PELLEGRIN et le citoyen LESCA, notaire à Sare, tous deux détenus. Il y aura encore d'autres interrogatoires.
7°décès : "Ce 13 Prairial, à 1 heure de relevée, mort de Pierre Detchegoyen, Cne d'Itsassou, 62 ans, Iaboureur, dans Ia Maison de réclusion. Témoins Dominique Lesca, 55 ans, notaire public né à Espelette et Jean Caupenne, D'ascain, marin(n)ier, tous deux des basses pirénées demeurant actuellement à Capbrutus".
Il s'agit de Jean ESTAIL, laboureur de 44 ans, Commune de Sare, détenu dans cette commune,(ne signe pas), et Sabin BENAC, marchand de 37 ans "habitant sidevant dans la commune d'Espelette et actuellement dans cette commune," (il signe).
8°décès, le 4 juin 1794: "Le 16 prairial An II, à une heure de relevée, décède Jean Destail, de 1a Commune de Sare, laboureur de 50 ans", dans une maison de Capbreton non dénommée
relevé par Anne-Marie Bellenguez