L'Estacade  

 

ODE À L'ESTACADE  :

 

"A Capbreton, pour

Diminuer la force de l'eau

Qui se roule à tort et à

Travers, on a construit un

Pont de bois qui la brise

Et la redresse : l'Estacade.

Et pourtant l'Estacade,

montée sur ses échasses

Et dressée sur la mer qui

Fonce toute blanche, ne

S'en émeut pas plus qu'un âne

D'un coup de béret."

                             Césaire DAUGE. "Sonnets de Maa"

Ce sonnet a paru dans le magazine municipal "CAPBRETON" n°113 de mai 2008.

 

L'ESTACADE, SIGLE ET SYMBOLE DE CAPBRETON

  

De tout temps, les Capbretonnais ont eu une vocation de marins. Au Moyen Age ils harponnaient la baleine.

Dans la "Chronique de Bayonne," Compaigne cite un acte du XIIème siècle portant droit de l'abbaye de Lahonce à recevoir annuellement " une baleine de celles que l'on prend au port de la Pointe ", c'est-à-dire à Capbreton.

 Puis, la baleine se raréfiant sur nos côtes, ils la poursuivirent jusqu'aux "Terres Neuves"

d'Amérique, qu'ils connurent bien avant les découvreurs officiels.

Une tradition orale veut qu'un marin de Capbreton, Cabarrus, compagnon de pêche de Libet, Gorostartzu et Lajus, ait conduit le premier navire ayant accosté "aux Amériques" vers  1392, ou du moins bien avant les découvreurs officiels. Il a baptisé l'île du nom de son port d'attache, Capbreton. Cette île porte d'ailleurs le nom européen le plus ancien de toute la géographie américaine.

Si, de tout temps, les Capbretonnais ont eu une vocation de marins, c'est que leur site est un port de refuge naturel.

A 300 m du rivage, la faille du « Gouf », fosse abyssine, véritable curiosité géologique, fait du site une zone de refuge naturel, connu de tous les navigateurs.

Au XVème siècle, les Capbretonnais appelaient ce Gouf, où débouchait l'Adour, "Lou Boucaou de Diou," (la petite bouche, l'embouchure de Dieu)  refuge providentiel en temps de tempête.En effet la profondeur en est telle que, par gros temps, lorsque les éléments sont déchaînés, la mer reste calme à cet endroit, les vagues ne pouvant s'y briser. Les anciens Capbretonnais parlent encore de baigneurs du début du siècle qui, partant à la nage depuis l'estacade allaient se "relaxer" et reprendre des forces pour le retour en faisant "la planche" au dessus du GOUF. Une exploration sous-marine en 1880-81, fut effectuée par l'aviso "le Travailleur". Ses conclusions, fort controversées, voyaient dans" le GOUF" un reste de l'ancien lit de l'Adour...

Ce travail scientifique permit de découvrir des espèces nouvelles de mollusques et de prendre conscience de la haute température du fond. Ce lieu unique n'a pas livré ses secrets qui continuent de passionner bien des scientifiques, intriguera encore longtemps les océanographes et donne lieu à des théories diverses et parfois fantaisistes.Il est souvent fait référence au GOUF dans les archives de Capbreton.  Déjà, dans une charte de 1186 se trouvant en Allemagne, on cite le port de LA POINTE "où les navires, chassés par gros temps, trouvent un asile sûr."

Pourtant vers 1310 une tempête d'apocalypse. va changer les donnes du paysage : "Les vagues gigantesques charriant d'énormes masses de sable, dit le chroniqueur, ont créé un barrage faisant dévier le cours de l'Adour qui prît la direction du Nord pour atteindre le Plecq à Vieux-Boucau."

Ainsi l'Adour se terminera par un delta sur Bayonne et le Plecq, autour de son estuaire principal de Capbreton.

En 1411, c'est encore une très forte tempête qui obstrue l'estuaire de l'Adour pourtant retrouvé. Le fleuve dévie une fois de plus vers Vieux-Boucau.

En 1437 tout est rentré dans l'ordre puisque Charles VII déclare que, "si les Anglais gardaient son boucau de CAPBRETON et celui de CALAIS, autant vaudrait pour lui n'avoir rien sur l'Océan".

Par ordonnance royale, Charles VIII ordonne, en 1492, que le seul havre de Bayonne soit au lieu du GOUF où aboutissait l'Adour.

En1494, divers experts ont mission de se rendre à Capbreton pour étudier la possibilité  d'y établir le Port Royal du Golfe de Gascogne. L'enquête n'a pas eu de lendemain.

Le futur Henri IV, alors roi de Navarre, vint dans notre ville en 1583 et 1584. Une de ses lettres, conservée à la mairie, atteste sa visite. Une plaque sur la maison du jurat Ponteils, devenue "maison du Rey",  la signale également. 

En 1565, lors de la visite de Charles IX à Bayonne, une députation de Capbretonnais attire l'attention du roi sur le danger que présenterait pour eux le détournement de l'Adour au profit des Bayonnais. Ce projet qui a été évoqué serait pour eux "des grandes pertes et dommages"

 L'Adour fut cependant détourné sous Henri III, en 1578, année tristement historique, au profit de Bayonne, ruinant ainsi les projets d'expansion du port de Capbreton.

Mais, le GOUF restant toujours à sa place, les gouvernements successifs s'y intéressent à tour de rôle, projetant même d'utiliser ce havre de refuge pour le transformer en port de guerre.

On trouve aux Archives Départementales de Mont de Marsan un plan du Fort de CAPBRETON, datant de Louis XV (1759.REF 15),entouré de retranchements et de fossés et reprenant un plan ébauché par Vauban. En 1781, sous Louis XVI, on y porte, depuis BAYONNE, 4 barils de poudre, 50 boulets de 24, trois armements complets, etc...(A.D EE32 n°81).

En l'an III,(1794), les Registres de Délibérations commentent la destruction de la batterie sud de canons installée non loin de l'estacade actuelle, par l'écroulement des sables provoqué par le flux et le reflux de la mer. Ce port fut désarmé, faute de crédits, en 1803 sous le Consulat.

Napoléon Bonaparte, empereur, s'intéresse au projet de rétablissement d'un grand port à Capbreton, avec une longue jetée sur la mer. Sa destinée ne lui donna pas le temps de concrétiser ses promesses d'Estacade et de Sémaphore.

En Août 1837, sous Louis Philippe, la municipalité de CAPBRETON rédige une nouvelle pétition comportant le projet d'un port de sauvetage. Les travaux nécessiteraient 600 pins.

La municipalité de M. LAJUS rève du projet ambitieux d'un port de relache établi à Capbreton, communiquant avec celui de Bayonne, et permettant de faire "re-déboucher" l'Adour à Capbreton...

Vingt ans plus tard, sous le second empire et avec le maire LAFONTAN, c'est la même demande de projet d'un port de refuge, rendu nécessaire "à l'occasion des nombreux sinistres qui ont affligé notre côte dans le courant de cet hiver"... (février 1857).

Napoléon III, empereur des Français, va s'intéresser de près à Capbreton dans le cadre de sa politique de mise en valeur des Landes. Il se rend dans notre commune à l'occasion d'une visite au marais d'Orx dont il veut faire un domaine pilote. A Capbreton, il admire ce lieu exceptionnel et se rend compte aussi de la difficulté d'accoster au rivage. Le 29 Juillet 1858 il ordonne la fixation de l'embouchure du courant du canal.

Il se rendra trois fois à Capbreton.  On attendait de lui qu'il fasse rendre le fleuve Adour détourné au profit de Bayonne en 1578 ! Ce souhait ne fut pas exaucé. Cependant, pour la sécurité du seul port des Landes, il crée ce qui facilita la croissance et est devenu l'emblème de Capbreton : cette longue ESTACADE « en charpente », dont nous fêtons cette année le 150ème anniversaire.

En 1858, les registres de délibérations commentent la visite de Sa Majesté.  La construction du port et l'aménagement de la plage ont été ordonnés officiellement. Les plans du futur port de Capbreton établis par les ingénieurs Descombes et Pairier sont déroulés sur la table de marbre de l'hôtelier Coucho, en front de mer. La chaise utilisée par l'Empereur, le verre et le couteau dont il s'est servi, la table de marbre du restaurant seront rachetés par la mairie ou plutôt échangés contre un terrain.

Le plan des travaux de l'Estacade  est dressé par l'ingénieur Emile AUBE (on en possède un exemplaire en Mairie). Les travaux d'aménagement exigeront la fourniture de 200 gros arbres pins et de 400 pins d'éclaicie pris dans la forêt communale.

Lorsque, en bon administrateur, l'Empereur revient l'année suivante le 19 septembre 1859, examiner les travaux, l'estacade "en charpente" plantée sur la dune n'est pas finie et il faudra y travailler encore un an avant l'inauguration officielle, avec des travaux supplémentaires puisque la digue se sera effondrée. La première estacade  mesure 40 mètres. Elle sera vite prolongée de 50 mètres (voir rapport de La Roche Poncié).

Lorsqu'il débarquera pour la troisième fois à Capbreton le 26 Septembre 1862, l'Empereur débarque à l'extrémité Est d'une Estacade Sud, à peu près terminée.

Il y aurait urgence à construire ensuite une digue Nord. Des études dans ce sens, rédigées par le curé de la paroisse, l'abbé Puyol (qui obtiendra une chaire à la Sorbonne), ainsi que par M.Maignon de Roques, éminent géologue, seront remises à Napoléon III pendant un de ses séjours à Biarritz. Mais il faudra attendre longtemps encore pour cette construction.

En 1875 le maire Anatole de Saint-Martin fait réparer l'estacade,  "pourrie et sur laquelle il devient dangereux de circuler".

 En 1896 elle s'étend sur 185 mètres.

Collection particulière A.M.Bellenguez

Les archives récentes, (registres de délibérations de la Mairie de Capbreton), parlent d'un "raz de marée". Ce terme revient facilement sous la plume de nos secrétaires de mairie. Il ne s'agit évidemment pas de ces énormes vagues d'origine sismique  qui caractérisent le "raz de marée" mais de déferlantes dévastatrices qui accompagnent les colères de l'Océan.

La municipalité de Fernand Junqua a fait construire un quai-promenade à la plage, une place publique  est aménagée près de l'estacade ainsi qu'un établissement de bains municipal. Tout ceci, aussitôt dévasté par un autre "raz de marée?(sic) en 1924 et, en toute urgence, on doit consolider tous les abords du front de mer.

En  novembre 1938 un nouveau "raz-de-marée" (sic) dévaste le nouvel aménagement et les villas du bord de mer.

 Puis c'est la seconde Guerre Mondiale et l'estacade
est rasée à coups de canon en septembre 1943 sous l'occupation allemande, ainsi que tous les bâtiments qui gênent les lignes de tir pour la protection du mur de l'Atlantique.

Après la Libération cest laPréfecture qui s'occupera du dossier des Dommages de guerre : "dégats causés à l'Estacade par l'armée allemande" et le 19 mars 1945, M.Durand architecte qui va établir un dossier des travaux à effectuer.

En avril 1945 Capbreton est classé parmi les communes sinistrées.

Ci-dessous, des extraits d'une lettre du commissaire des travaux de la région Océan.

Il est urgent de :

- "prendre toutes dispositions pour qu'il soit procédé en tout premier lieu, sans aucun retard à la reconstruction de l'estacade dont la destruction met à chaque instant la vie des marins-pêcheurs en danger, en même temps qu'elle prive les pêcheurs de toute la côte de la Gironde à Saint-Jean-de-Luz du seul abri qui s'offre à eux par une forte tempête du fait qu'il n'existe sur toute cette partie du rivage aucun autre point plus propice comme port de refuge"...

- "procéder à cette reconstruction tant au point de vue humain qu'à celui de l'intérêt général de l'industrie de pêche nationale"...

Elle sera reconstruite à l'identique, mais seulement en 1947, et elle sera  surmontée d'un phare en pierres.

Elle mesure actuellement 189 mètres 60. 

En décembre 1951 un "raz de marée" (sic) occasionne de gros dégâts au chantier du nouvel l'établissement de bains, à ceux des perrés du Boudigau et à l'avenue de la Plage.

En février 1954 la digue du front de mer s'écroulera en face de l'hôtel des Terrasses et le quartier de la plage sera inondé.

Au début de janvier 1978, une tempête d'une rare violence et qui va se prolonger d'une façon exceptionnelle, (les archives de la mairie parlent de trois mois sans discontinuer),  va avoir un effet catastrophique sur notre plage.

L'estacade va perdre une vingtaine de mètres, emportés par les flots. La digue Nord, qui avait pourtant été surhaussée et allongée de 100 mètres sera cassée sur 25 mètres de long et dans la nuit du 5 janvier le phare de la digue Nord sera arraché dans la nuit et littéralement aspiré par les vagues.

Les travaux consistent à renforcer les épis Sud devant le préventorium. Dans l'urgence, on crée au bout de la digue Nord un musoir de palplanches et un enrochement sur lequel sera placé un feu de position.

Les soubassements de l'estacade seront renforcés et les boiseries remises en état pour qu'elle apparaisse toujours aussi  superbe aux visiteurs de l'été.

 

L'Estacade, cette promenade tant appréciée, haut lieu de l'histoire capbretonnaise (et qui mériterait d'être classé au titre des monuments historiques), ne doit sa pérennité qu'à  la persévérance de générations de Capbretonnais.

L'histoire nous le confirme, il faut et il faudra toujours une volonté inébranlable pour conserver et mettre en valeur ce site d'exception.

 

Anne-Marie Bellenguez

11 mars 2008

 


 

Dans la nuit de lundi 10 mars 2008 au mardi 11 mars, une redoutable tempête a arraché sur une vingtaine de mètres l'estacade du port,  

Collection particulière. Photo Alain Vaudin

Ce n'est qu'un avatar dans l'histoire de l'Estacade et elle est maintenant tout à fait restaurée et plus belle que jamais.

 

 

 

 

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