"Une rue de Capbreton porte ce nom" : Gouf
« GOUF » ou « FOSSE », deux noms trompeurs pour désigner un phénomène géologique grandiose, qui n'a pas encore révélé tous ses mystères.
Il s'agit d'un fjord sous-marin, vallée escarpée qui daterait de l'époque glaciaire, qui s'étend depuis la pointe de la Bretagne jusqu'à l'Espagne, mais qui, en face de Capbreton se creuse plus profondément sous la forme d'un remarquable canyon dont on n'a pas encore pu calculer précisément ni la profondeur tant les calculs bathymétriques sont divers et contradictoires.
Comme la curiosité géologique se double de plusieurs courants d'eaux chaudes au fond du canyon, les scientifiques se perdent en conjectures.
En 1914, Monley-Bendall, secrétaire général de la Société Océanographique, écrivait : « Peu de problèmes de géographie physique ont tant fait l'objet de théories variées et fantaisistes »
JUSTE QUELQUES POINTS DE REPÈRE :
- 60 après Jésus Christ. Marcus Annaeus Lucanus dit Lucain, neveu de Sénèque, nous apprend que les galères romaines trouvaient, à côté de l'Adour, un refuge assuré contre les tempêtes de l'Océan ? Cette « fosse » constituait une rade lorsque l'Adour y avait son embouchure et à l'époque
- 1491, et le 8 décembre, onze habitants de Capbreton font une déposition dans le cadre d'une enquête ordonnée par Charles VIII. Voici le résumé de leur déclaration : Ceux-ci leur apprirent qu'il est au devant de Capbreton un lieu nommé « Le Gouf », lequel est le plus profond lieu de la mer ? Et s'étant rendus sur les lieux, ils remarquèrent que la mer « rompait grandement sur les bords des sables par tous les quartiers excepté tant seulement en une pièce du pays?en laquelle pièce elle se montrait paisible » ? Et tous d'un commun accord jurèrent sur les Saints Evangiles? » On avait déjà donné son nom au « Gouf », et pris conscience de ce qu'il était le théâtre de phénomènes singuliers. On retrouve cette appellation de « Gouf » en janvier 1585 au sujet de plantage de gourbets.
- 1812 L'ingénieur de Baudre, inspecteur en chef des Ponts et Chaussées effectue un rapport sur le Gouf daté du 10 novembre 1812.
- 1815, à la demande de M. le Comte de Rosily, vice-amiral, Alexis Pierre César Depoge, (Bulletin N°1 de Côte Sud Mémoire Vive), va sonder le Gouf et en lèvera la première carte.
Il cite dans son rapport qu'en « 1797 ou au commencement de 1798, un officier commandant le Brick Le Dragon, chargé de l'escorte d'environ 50 bâtiments de Rochefort à Bayonne, son convoi s'était sauvé dans le mouillage de l a Fosse ? ».
- 1826 M. Beautemps-Beaupré, ingénieur hydrographe, fera la même étude en 1826. Ses travaux et ceux de Depoge seront présentés à l'Empereur Napoléon III.
- 1860 Sondages par Gentieux, cités par Onésime Reclus en 1899.
- 1862 L'abbé Pujol, curé de la paroisse, présente un mémoire à l'Empereur Napoléon III et parle d'une « force inconnue qui émane du Gouf empêchant le sable, qui roule constamment sur les plateaux qui le dominent, d'y pénétrer ».Des forces invisibles empêchent les sables de se déposer dans ce canyon dont la formation semble fixe et constante
A la même date, le maire Duplaa parle de l'immense vallée sous-marine désignée sur les cartes sous le nom de Fosse de Capbreton et que les habitants du pays appellent le Gouf » et qui calme la houle. Il expose à l'Empereur les deux faits suivants : * Vers la fin de l'année 1844, un navire français, « le Vigilant » fut pris par la tempête et grâce à la protection du « Gouf », équipage, navire, cargaison, tout fut sauvé? * de même le 15 décembre 1850 pour le brick français « l'Edouard ».
- 1880 Léopold de Folin, auteur des "Fonds de la mer , étude internationale sur les particularités nouvelles des régions sous-marine", est à bord de l'aviso « Le Travailleur » et il découvre dans les eaux profondes une faune insoupçonnée jusqu'alors et des espèces inconnues. Il nous a laissé une passionnante documentation, visible à la Médiathèque de Capbreton. Les conclusions sont là aussi qu'il s'agit de l'ancien lit de l'Adour, « le fleuve ayant, pendant des siècles lutté contre le flot. ».
- 1882 L'abbé Gabarra lit à la Sté de Borda un mémoire sur le « Gouf »
- 1886 le Prince Albert de Monaco, à bord de « l'Hirondelle » étudie les courants marins du « Gouf ». Il fait don à la station météorologique qui vient de se créer, d'un « appareil plongeur ».
- 1894 Joseph Dupuy reprend les thèses précédentes dans l'étude de ce précipice Son étude concernant « la géologie du Gouf » a été publiée par la Société de Borda.
- 1899 Onésime Reclus publie « Le plus beau royaume sous le ciel » et parle d'un long abîme ? sans cesse nettoyé par des courants inconnus. Les sondages de 1860 coïncident, dit-il aux fonds trouvés en 1826. Pour son frère Elysée Reclus, géographe lui aussi : « est-ce une faille sismique due au plissement pyrénéen ? ».
- 1917 Pierre Eudoxe Dubalen, inventeur de la grotte du pape à Brassempouy, et Edouard Alfred Martel, fondateur de la spéléologie et explorateur du gouffre de Padirac, soutiennent la thèse que le Gouf serait l'estuaire submergé de l'Adour qui se jetait autrefois à Capbreton. Le même savant Dubalen affirme que les eaux chaudes thermales de Dax, Saubusse, Tercis et Préchacq terminent leur parcours au fond du Gouf de Capbreton par des fissures souterraines.
- 1922 Dans son livre « Sur la formation du Gouf de Capbreton » M. Ch. Gorceix parle d'abîmes et d'avens? * La même année, le Docteur Charcot pratique des sondages dans « la fosse marine de Capbreton ». Il signale l'existence « d'abondantes venues d'eau chaude ». Charcot arrête ses sondages à environ 4000 mètres sans avoir, dit-il, atteint la profondeur maximale.
- 1933 C'est sur le premier navire océanographique français transformé pour la circonstance en laboratoire. « le Président Théodore Tissier » que Edouard Le Danois, directeur de l'office scientifique des pêches maritimes et le commandant Lucien Beaugé ont dressé une carte du « Gouf ». Ils ont eu conscience de la complexité géologique et topographique de ce canyon sous l'Océan. Il aurait joué un rôle d'attraction sur le fleuve Adour qui y trouvait naturellement son embouchure. C'est à partir de leur carte qu'une maquette a été construite par l'Institut et exposée au Palais de la Découverte en 1937. Elle est actuellement propriété du Musée de la Mer à Biarritz.
- 1935 Premières utilisations du sonar, peu concluantes.
- En 1948 le Danois, auteur de "Les profondeurs de la mer. Trente ans de recherches sur la faune sous-marine au large des côtes de France" consacre une étude à la faune des profondeurs du canyon de Capbreton.
- A la fin de 1950. M. Georges Claude, spécialiste de l'énergie thermique des mers fait des sondages de température des fonds. En 1961, la Revue des Sciences en fera un compte rendu sous la plume du Professeur Dauvilliers.
- 1951 J.Bourcart et P. Marie ont fait ressortir « l'intérêt qu'il y aurait à lever, au sondeur continu, les sillons qui accidentent la Fosse ».
- 1955 « le Donibane » effectue des sondages. Nous sommes au moment de la découverte du pétrole à Parentis et plusieurs recherches seront commanditées par les « pétroliers ».
J.Schoeffler (Sté Nationale des Pétroles d'Aquitaine à Pau) déclare en 1962 qu'il s'agit d'un sillon datant de l'aube des temps crétacés, cicatrice d'origine tectonique ?
- Entre 1987 et 1990 des recherches exploratoires franco-espagnoles se développent autour du Gouf.
- 2006 Une enquête de Hugo Verlomme le décrit comme « l'un des canyons sous marins les plus profonds du monde, bien plus énorme que le Grand Canyon du Colorado ».
- Le commandant Jacques-Yves Cousteau, contrairement à ce que l'on entend parfois dire semble n'être jamais venu explorer le Gouf où sa « Calypso » aurait été la bienvenue.
- Une magnifique maquette du « Gouf », notre « Boucau de Diou », est à voir absolument au Musée de la Pêche et Aquarium de Capbreton.
Anne-Marie Bellenguez